mercredi 27 avril 2016

La querelle des bovins. Partie 2

Pour les modalités préliminaires, prière de lire le billet précédent.

Lorsque Prouston, le bœuf blanc dominant aperçut dans le pré mitoyen les bœufs roux, son sang ne fit qu'un tour ! Son long meuglement mêlant colère et souffrance remua tous les tripoux du troupeau.

Si Prouston avait été un humain, on aurait pu comparer son influence à un académicien, un moraliste ou un journaliste du sérail. Devant ses ouailles hébétées, il lança un violent réquisitoire contre ces bovins roux qui venaient brouter l'herbe verte de nos belles prairies morvandelles destinée aux Charolais depuis la création de l'univers. 

- "Rentrez chez vous ! Ne comptez pas sur nous pour assister les pattes croisées à notre grand remplacement !" Éructa t-il en s'adressant au troupeau adverse un peu effrayé par l'accueil.

- "Mais, monsieur Rouston -sa langue ayant fourché malencontreusement- osa un bœuf malingre, il y a bien assez d'herbe pour tout le monde d'autant qu'elle pousse vite." Un bon coup de corne du vétéran  remit vite cet importun malpoli dans le rang.

un fier taureau roux

Et c'est ainsi que naquit la querelle des bovins qui jour après jour s'envenima au point que la situation devint vite invivable. Les deux troupeaux se scindèrent en de multiples clans et sous groupes d'une manière étrangement symétrique. Les partisans de la pureté charolaise se montraient si vindicatifs et si hargneux qu'il firent naître chez les rouquins, un mouvement semblable opposé à tout métissage et mélange avec tout bovin blanc.

Des groupes de vaches se déclarèrent opprimées par la masculinité des bœufs (ce qui fit rire tout le monde) , revendication qui parut fort cocasse aux taureaux parqués dans leur enclos forcés de pratiquer l'acte sexuel sur des leurres en plastique pour récolter leur semence

Des rouquines parlèrent du suprémacisme et des privilèges des bovins blancs qui gardaient pour eux les meilleurs carrés d'herbes. Ces mêmes ruminants blancs se plaignant d'un racialisme roux à leur égard. Les vachettes exigeant même une non mixité entre roux et blancs, entre vachettes et bœufs et même entre vachettes rousses et vachettes blanches.

Une logorrhée insupportable envahit certains esprits : on y parla de spécisme, de luttes des races, d'oppression, d'aliénation, d'appropriation culturelle, d'identité charolaise, de particularisme roux, d'intersectionnalité, de luttes civilisationnelles voire de guerre civile ! 

Pratiquement personne, dans l'anonymat du troupeau ne comprenait le sens de ce jargon mais chacun retenait ce côté clivant et destructeur vis à vis de la communauté voisine.

La situation devenait d'autant plus inextricable que les bipèdes avaient ôté la clôture ! 

Une majorité de bovidés de toutes couleurs vivait toutefois en paix avec une certaine cohésion, sans animosité mais subissait les séquelles de ces luttes de pouvoir de clans auxquelles les bovins n'étaient pas rompus ; ainsi la chienlit s'installa entre les deux troupeaux.

Une mère allaitante rousse et son nourrisson.

La fraternité, de mise au début, s'estompa graduellement et la méfiance s'installa progressivement chez tous les membres de la communauté...

Je remarquai toutefois des situations qui m'intriguèrent particulièrement : je ne doutai pas que nous étions le but ultime de l'univers mais l'attitude de ces petits bipèdes malingres et vicieux -les hommes- me sembla suspecte. 
N'étions nous pas manipulés à des fins inavouables par ces sortes de monstres simiesques ?
Quels étaient leur but ? Ne se servaient-ils pas de ces situations troubles pour assouvir leurs ambitions ? Les gens qui s'occupaient des Limousines et ceux qui se chargeaient des Charolais semblaient rivaux...
N'étions nous pas devenus, au travers de nos vaines querelles, les instruments de leur lutte de pouvoir ?

Le lendemain de ma révélation, on me conduisit dans un camion avec une vingtaine de mes collègues roux et blancs vers un lieu que les petits hommes appelaient "abattoir". Quand je rentrai dans ce bâtiment où flottait une odeur âcre de sang et où des meuglement déchirants assourdissaient mes oreilles, je compris, trop tard, que notre vanité avait conduit notre espèce à se prendre pour la reine du monde alors que nous n'étions simplement que les jouets des ces bipèdes manipulateurs sans foi ni loi.

Vu le bide retentissant du premier épisode, j'ai dû prendre mon courage à deux mains pour publier cette suite particulièrement niaise...
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lundi 4 avril 2016

Les mémoires d'un bœuf. Partie 1.

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Avertissement : toute ressemblance avec un bovidé, un animal à cornes encore vivant ou un quelconque steak frais voire congelé existant ne saurait être attribuée qu'à de hasardeuses circonstances.


Chers bovins,

J'ignore par quel hasard malicieux ce texte vous parvient mais j'ai tenu, au cours de ma brève existence, à témoigner de la vie délicieuse d'un bœuf, roi du monde et ultime but de l'univers.

Je m'appelle Hannibal, je suis un beau et plantureux bœuf de race charolaise, natif du Morvan où se situent mes pâturages ensemencés d'herbe grasse et goûteuse.

Ma mère Clarabelle, une belle et solide compétitrice médaillée dans une grande ferme située à Paris, Porte de Versailles, me mit au monde à partir d'une goutte de semence du terrible Attila, 1457 kg, qui se révèle être mon géniteur.

Le plus costaud des papas.
 J'eus une enfance heureuse et ludique, je ne fus jamais à court de nourriture, à base de bon lait et de foin savoureux, servie par de drôles de petits bipèdes agités et bruyants. Ma mère m'ayant expliqué que la nature, dans son incroyable génie avait créé autour de notre espèce, un monde entièrement dévolu à notre race illustre. Le soleil se levait afin que nous ayons chaud, la pluie faisait pousser l'herbe qui croissait et se multipliait pour nous nourrir et ces bipèdes ridicules qu'on appelait "hommes" se mettaient à notre service pour la prospérité et la gloire de notre race.

Notre société vivait dans un ordre parfait avec ses classes hiérarchiques basées sur la puissance physique ; le veau représentait le bas de l'échelle avec des sous catégories dépendant du résultat  d'incessants combats singuliers. Rappelons à toute fins utiles qu'un troupeau de bovins est en constante évolution hiérarchique selon la force et l'agressivité développées par chacune et chacun d'entre nous ; l'accès aux endroits préférentiels où l'herbe est plus verte en dépend.  Les taureaux représentant l'aristocratie de l'espèce reine du cosmos.

Vers 13 mois, on m’emmena dans une sorte de lieu cultuel pour me castrer. C'était un rite initiatique qui marquait solennellement au sein de notre espèce le passage du statut d'enfant à celui d'adulte. Malgré une brûlure assez vive je revins au pré, fier comme un veau d'or. Quelques taurillons moqueurs et mauvais esprits transformèrent mon nom Hannibal en Annie en ricanant comme de vulgaires vachettes d'arènes. Le détachement hautain que j'observai les dégoûta rapidement d'autant que je commençai à glaner ça et là des médailles avec des panoplies de rubans multicolores !

À tel point que nos domestiques bipèdes ne cessaient de frapper stupidement la paume de leurs pattes maladroites, affreusement dépourvues de sabots. Ces êtres malhabiles faisaient vraiment partie d'une espèce inférieure juste bonne à nous obéir servilement. Je me demande encore comment la Nature pouvait fabriquer des créatures aussi niaises et laides... Sinon comme instrument adapté à la perpétuation de notre civilisation solaire incontestable.


Maman, je t'aime !

Paître, se repaître, mastiquer et ruminer, péter, pisser et déféquer, se mesurer à son alter égo ; tout le reste n'étant que futilités. L'hiver, les créatures bipèdes nous emmenaient dans des hangars chauffés et ne cessaient de nous servir du bon foin bien sec et quelques gourmandises bienvenues.

Dans ce monde merveilleux certains tenaient toutefois à se singulariser comme ce taureau de réforme Prouston (qu'on appelait Roustons en cachette) qui passait des heures à se mirer dans la mare de notre pré. Cette vieille carne considérait chacune de ses bouses comme une grandiose œuvre d'art et comble du ridicule, il se trouvait dans le troupeau des amateurs pervers pour les admirer !

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes : les esclaves humains à notre dévotion, une vie nonchalante  à se régaler, le soleil, les oiseaux espiègles, la pluie bienfaisante, des herbes luxuriantes, une existence sans soubresauts, de la nourriture à foison... Que demander de plus ? 

Ce paradis sur terre prouvait incontestablement que nous étions les maîtres de la création puisque tous nos besoins étaient assouvis !

Quand un évènement inopiné survint un fameux jour du mois de mai. 

Alors que nos domestiques simiesques nous accompagnaient, nous nous aperçûmes avec surprise au détour du chemin, que le pré voisin était occupé par des bovins -aucun doute là dessus- roux. Ayant fréquenté la grande ferme du salon de Versailles, je reconnus immédiatement des Limousines.

C'est à se moment que tout bascula...


La suite de cette parabole sur l'ethnocentrisme dans trois ou quatre jours. 
Uniquement si vous avez aimé le premier chapitre. Autrement, à la prochaine !
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