mardi 25 février 2014

La mort ou l'inversion du temps.

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Avertissement : ce billet est la suite et la fin de vieillesse et détresse.


Lorsque je rentrai dans la chambre, Elle était assise sur son fauteuil, le long de son lit médicalisé. Sa main droite posée sur l'accotoir tremblotait. Sa tête, recouverte d'une maigre chevelure blanche,  était penchée sur la droite, son cou n'ayant plus la force nécessaire de maintenir son port. Son visage, livide et émacié.

Son regard était vague presque sans expression avec parfois de soudaines lueurs douloureuses soulignées par un bref et indéfinissable sourire énigmatique.

La poupée de Hans Bellmer 1934. Surréalisme. Art dégénéré selon le 3ème reich


- "Bonjour monsieur Garnier." Me salua t-Elle machinalement.

- "Mais... je ne suis pas Monsieur Garnier !" Lui répliquai-je, agacé.

 Elle ne releva pas et continua : "Si vous saviez comme je souffre, monsieur Garnier, chaque geste, chaque posture m'arrache des hurlements de douleurs. Les aides soignantes me grondent en me traitant de douillette parce que je gémis à chaque mouvement mais si vous saviez, monsieur Garnier ! Elles n'imaginent pas combien j'ai souffert physiquement dans ma satanée vie qui s'achève et pourtant je n'ai jamais eu aussi mal !"

"Parce que je sens venir la fin, monsieur Garnier,  je souhaite même que la mort me prenne en plein sommeil pour en finir avec ces souffrances insupportables."

"La nuit, je pense sans cesse à ma maman, il m'arrive même de me surprendre à l'appeler en criant. Si vous saviez comme ma maman me manque monsieur Garnier..."


De fait, ayant été hospitalisé pendant une bonne année dans un service de chirurgie orthopédique à cause d'une saloperie de maladie nosocomiale contractée sur une table d'opération, je me rappelais des longues nuits ponctuées par les nombreux et interminables hurlements de petites vieilles opérées du col du fémur, meurtries par de profonds escarres et qui ne cessaient d'en appeler à leurs mères. Ces réminiscences m'avaient beaucoup marqué.

Elle reprit de sa voix atone -elle ne s'adressait plus vraiment à moi- le regard lointain braqué sur son enfance : "Vous savez, monsieur Garnier, on raconte que la Mort est un squelette grotesque muni d'une faux, et bien c'est une blague, monsieur Garnier !"

"Chaque nuit qui passe, je me revois de plus en plus jeune, une enfant, presque un bambin. Des images enfouies me reviennent une à une alors que je ne me rappelle plus rien de ce qui m'est arrivé depuis des mois. Ces souvenirs me réchauffent. Je me sens glisser peu à peu dans la douce quiétude maternelle..."

"Parce que, vous savez monsieur Garnier, je veux mourir en pensant que je glisse dans le ventre de ma maman, une sorte de retour à l'origine, et qu'asphyxiée, je m'y noie pour l'éternité."

Des larmes coulaient de ses yeux clairs.

Elle se tût. et s'endormit calmement.

Je la réveillai pour lui annoncer mon départ.


Elle me regarda, indifférente :"Au revoir monsieur Garnier."

 - "Au revoir maman." 


J'étais tellement chaviré que je n'eus pas la force de pleurer.
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PS : je ne commenterai pas ce billet.
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18 commentaires:

  1. À mon avis, vous devriez même les fermer, les commentaires. (Après avoir effacé celui-ci, bien entendu.)

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    1. Non.
      Je vais les laisser ouverts.
      J'ai la prétention (ou la faiblesse) de croire que les personnes qui me lisent sont des gens bien, pudiques, et qui, par bien des côtés ressentent les mêmes choses...

      Merci quand même.
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  2. Aucun soignant digne de ce nom n'a le droit de traiter un patient de douillet et ni le manque de personnel, ni l'affluence des malades ne peuvent être des excuses valables à des manquements d'attitude envers les malades hospitalisés.

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  3. "L'inversion du temps.."Ma fille quand elle avait 4/5 ans aimait me dire "quand je serai grande et que tu seras petite"...Tu vois c'est ça finalement.

    On a tous vu partir un jour ceux qui nous aimaient et nous ont fait grandir.

    Emotion, souvenirs, tendresse. Merci.

    Je t'embrasse.

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  4. C'est ce que je redoute le plus à chaque visite : le jour où elle me prendra pour quelqu'un d'autre, comme lorsqu'elle était encore dans sa maison, et qu'elle avait pris le docteur pour un notaire, qui l'avait dépossédé de tous ses biens, elle n'avait même plus d'endroit ou coucher !
    Les aides soignantes sont d'une patience infinie, alors qu'elle les voue aux gémonies. Elles me regardent avec un sourire complice "vous savez, on a l'habitude".

    A partir du moment où une personne n'est plus considérée comme responsable de ses paroles, injurieuses ou incohérentes, qu'on lui retire le droit de vote et qu'on la dispense de signer, ce n'est pas un retour en enfance, c'est un aller simple vers le néant, les yeux grands ouverts et l'esprit ailleurs.

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  5. Je voulais pas commenter mais je commenterai quand même (parce qu'on a peut-être pas grand-chose, mais ça on l'a encore) : Tu as toute mon affection et prends soin de toi.

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  6. Si tel est le cas. http://www.telerama.fr/livres/l-annee-de-la-pensee-magique,19897.php

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  7. Un article terrifiant qui montre ce qu'est la vieillesse. Nous risquons tous de passer par cet état.
    J'ai eu les yeux embués. Je gage hélas que ce texte sera très peu lu car sur internetles sujets sur la vieillesse, la mort et la dure réalité ne payent pas et c'est dommage.
    Vous avez droit à tout mon respect.
    VT

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  8. J'appréhendais tellement la chute...
    plus qu'à se taire !

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  9. "Un vieil étang
    Une grenouille saute
    Le bruit de l'eau."

    Basho, poète japonais. 1685.

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  10. Oui... j'ai connu çà: ma maman morte à près de 100 ans, au moins 2 ans de trop. STOP.

    Mais, plus récemment (août 2013) je peux témoigner d'une plus "digne" mort. Elle (87 ans) était ma voisine du dessus, nous étions les seuls locataires, d'ailleurs. Au fil des ans (11 ans de voisinage) je devins son plus familier visiteur, lui montant tous les matins son pain et son courrier (95% de pubs!), lui rendant de menus services et même inversement (en tomates et patates par exemple) : elle avait entretenu son jardin et potager (sous sa fenêtre) tant qu'elle pu y descendre. Puis se contenta, par sa fenêtre, de diriger un ou deux de ses petits-fils pour ce faire.
    Elle ne parlait que du potager, des fleurs, du temps atmosphérique, en plus de se plaindre de ceux de ses enfants qui voulaient la placer en "mouroir" disait-elle... Les derniers mois, elle n'avait plus que le déambulateur... pour ne pas trop souvent tomber (les 2 hanches et une épaule "embrochés"). J'entendais "boum" (si j'étais là!) et j'essayais de la relever seul. J'ai dû appeler les pompiers 7 ou 8 fois, la dernière fut la bonne : elle est morte dans mes bras, d'arrêt cardiaque, vite, avant l'arrivée des secours... Elle m'avait souvent dit souhaiter cela : "tout sauf le mouroir !"...

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  11. Mon Cui-cui, courage!
    Il y a deux choses qui sont toujours là: le regard et les mains.
    Toujours lui prendre la main et la regarder, tu y retrouveras l'essentiel.
    Bisous!!!!!
    Garde la pêche!!!
    Et encore Bisous tiens!!!!

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  12. Oui, la fin, c'est ce qui nous guette. C'est plus terrible et à la fois un soulagement, quand la maladie est terrible et prend jeune, irrémédiablement. Après tant de journées où les hurlements de douleur submergeaient les pauvres soins, malgré la morphine, je me souviendrai toujours de cette dernière nuit où nous bavardâmes comme si tout allait bien, pendant des heures. Puis le matin, après les soins infirmiers qui la fatiguaient beaucoup, comme souvent elle s'était endormie. Et douze heures plus tard, je téléphonais aux enfants "Maman ne respire plus". A deux heures du matin mon fils arrivait. Notre fils.

    Courage, mon CuiCui !

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  13. Je vous remercie toutes et tous pour la haute tenue de vos commentaires.

    Cet honneur que vous me faites en communiquant avec délicatesse et pudeur, prouve que si je n'ai pas le blog le plus fort en audience, j'ai celui qui est lu et commenté, quelque soit l'horizon politique, par des lecteurs particulièrement gratifiés de hautes valeurs morales.
    Encore merci : si je blogue, c'est parce que vous êtes présents et uniquement pour cette raison. ;-)

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  14. J'ai comme une larme à l'oeil, texte magnifique et bouleversant, merci de me permettre de lire une prose de cette qualité.
    Courage !

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Laissez-vous aller à votre inspiration, sans limite ! J'ai le cuir épais, le front étroit et la vue basse...

La seule limite aux débordements : la loi....

ATTENTION ! Autrement, ici, on ne censure personne. Les insulteurs, les aigris, les haineux seront reçus comme il se doit, ils devront toutefois s'attendre à de méchantes répercussions ; un chieur averti en valant deux, place aux commentaires !
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